Japon : l’après 21 juillet, sans « parlement tordu »

Traduit par Clémence Vidal
7 Aout 2013


Le 21 juillet, les Japonais ont octroyé au Parti des libéraux-démocrates (PLD), 65 des 121 sièges de la Chambre principale de la Diète, parlement national. Le PLD maitrise à présent les deux Chambres, ce qui évite pour le moment un « parlement tordu », ou une cohabitation au sein même du parlement. Le travail en est facilité pour le premier ministre Shinzo Abe et ses propositions de réforme. Analyse.


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Grâce aux 11 sièges remportés par le parti de coalition Nouveau Komeito, qui dépend du PLD, Shinzo Abe dispose à présent d’une majorité aux deux tiers dans la Chambre haute, ce qui laisse le Parti Démocrate Japonais (PDJ), principale opposition, incapable de bloquer une loi dans cette même Chambre. Jusqu’au 21 juillet 2013, le PDJ avait la majorité dans la chambre haute. Mais en contrôlant à présent 135 sièges sur 242, Shinzo Abe peut théoriquement continuer son mandat jusqu’aux prochaines élections, qui n’auront pas lieu avant 2016. Cela facilite la tâche à Abe, qui peut se battre pour faire passer certaines de ses réformes les plus controversées, du moins tant qu’il garde le soutien des deux Chambres.

L’expression « parlement tordu [twisted parliament] » désigne la situation où deux partis différents contrôlent la Chambre haute et basse du parlement. Ce « parlement tordu » a été la hantise de Abe depuis que le PLD a perdu la Chambre haute en 2007, durant son premier mandat. Les « parlements tordus » sont en fait une impasse législative, où le parti au pouvoir n’a pas le soutien nécessaire pour faire passer une loi dans l’une des deux chambres de la Diète (国会, kokkai en japonais). Pour qu’un projet de loi devienne loi, les deux chambres doivent le voter à la majorité simple, à moins que le projet de loi ne concerne la constitution, auquel cas la majorité aux deux tiers est requise de partout. Cependant, si l’opposition a la majorité dans l’une des deux chambres, elle peut bloquer tout projet de loi qui lui déplait, et faire ainsi barrage à toute initiative de réforme provenant du parti au pouvoir. Sans « parlement tordu », le premier ministre Shinzo Abe peut donc concentrer ses efforts à faire passer son agenda de réforme, aussi bien domestique qu’international.

L’Abénomie 

Les réformes économiques d’Abe, appelées l’Abénomie, ou l’économie selon Abe, visent à raviver l’économie moribonde du pays. L’Abénomie se base sur les « trois flèches » que sont la politique monétaire, les plans de relance et les réformes structurelles. Concernant la politique monétaire, Abe vise à dévaluer le yen japonais, avançant que la chute des prix décourage les ménages d’acheter, car ces derniers attendraient de meilleures affaires. Abe a alors proposé à la banque centrale japonaise de doubler l’objectif d’inflation du yen, qu’il compte associer à d’importants plans de relance, dans l’espoir d’encourager le public à dépenser davantage. Certains analystes déclarent cependant que si les mesures voulues par Abe étaient mises en place, et si une hausse des prix s’ensuivait, les taux d’intérêt augmenteraient également, ce qui affecterait sévèrement le Japon. La dette brute du pays représente environ 240% de son PIB. . Afin de combattre la dette, le gouvernement d’Abe a envisagé d’augmenter les taxes sur la vente pour passer de 5% à 8%. Cependant, cette mesure porterait certainement un coup à la demande intérieure, qu’Abe essaie de stimuler avec les plans de relance. Abe a également promis des réformes structurelles et des négociations sur l’instauration d’un partenariat transpacifique, accord de libre-échange qui pourrait faire de l’Asie le nouveau centre économique majeur, et offrirait un énorme marché potentiel aux entreprises japonaises. Il existe toutefois des factions qui s’opposent à un tel partenariat, en particulier les fermiers qui craignent de perdre en compétitivité, et s’ajouteraient alors aux problèmes du gouvernement, déjà criblé de dettes. Ces derniers temps, Abe a été de plus en plus critiqué pour son Abénomie. Malgré sa popularité initiale, ses tentatives pour faire reprendre une économie stagnante n’ont pas convaincu.

Politique étrangère

Abe a proposé de revoir l’Article 96 de la constitution japonaise, selon laquelle la majorité aux deux tiers des deux chambres du parlement est requise pour qu’un referendum public ait lieu. Si Abe y parvenait, il serait plus simple de revoir le célèbre et controversé Article 9. Ce dernier défend au Japon de disposer d’une armée, et ôte au peuple japonais le droit de recourir à la guerre comme solution à un conflit à l’international. Sous Abe, le Japon s’est montré plus assertif, comme montré dans le conflit des îles Diaoyu/Senkaku. La révision de l’Article 9 serait également en accord avec l’attitude révisionniste de Abe quant à la Seconde Guerre mondiale. Abe a fait face à la critique internationale des médias avec des déclarations telles que « la définition de ce qui constitue une invasion n’est pas encore établie dans la littérature académique ou de la communauté internationale ». En mettant en doute la place du Japon comme l’agresseur qui a causé la Guerre du Pacifique, Abe essaie de changer la manière dont l’histoire est écrite chez lui, pour correspondre à sa vision. En voulant se débarrasser de la « culpabilité post-guerre » qui a jusqu’ici justifié le confinement militaire japonais, Abe marche sur un fil entre des pays comme la Corée du Sud ou la Chine où une telle action est vue comme le début d’une nouvelle vague d’ultranationalisme, et d’autres pays qui souhaiteraient un Japon plus fort afin de contrer l’influence grandissante de la Chine dans la région.

Le Japon, les Nations unies et une constitution « démocratique »

Abe se pose actuellement en faveur d’une révision de l’Article 9, et avance que le Japon est exclu de toute participation au sein d’une initiative d’auto-défense, comme les missions de maintien de la paix des Nations Unies. Le Japon a en effet de grandes ambitions aux Nations Unies, et voudrait indubitablement rejoindre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Dans ce contexte, avoir le droit de participer à des missions de paix pourrait être le premier pas pour le Japon avant d’atteindre son objectif à long-terme, même si la Chine s’opposera probablement à la candidature japonaise au statut de membre du Conseil de sécurité. L’Article 9 continuera certainement à être un point faible, surtout qu’il existe un bon argument en faveur d’une révision de la constitution : elle n’a pas été écrite par les Japonais. Les Japonais n’ont jamais eu le choix de renoncer à leur armée ou non. En effet, sa constitution de 1947, pour l’essentiel toujours inchangé, fut imposée par les dirigeants des forces d’occupation américaines. La constitution japonaise est donc un paradoxe, dans la mesure où elle est tend vers le démocratique au sens formel, mais fut introduite au Japon par des moyens qui ne l’étaient pas.

Le défi d’Abe : maintenir la stabilité politique

Le Japon a eu 31 premiers ministres depuis 1947, là où le Royaume-Uni n’en a eu que 14. Rien qu’au cours des années 2000, il y en eut 10. La plupart ont occupé le poste moins d’un an, sauf pour Junichiro Koizumi, qui l’occupa de 2001 à 2006. Le changement fréquent de premier ministre est étroitement lié à la division des pouvoirs du système politique, plus particulièrement à la chambre basse. Si la chambre basse vote une motion de censure, deux possibilités se présentent : la chambre basse est dissoute, ou tout le cabinet doit présenter sa démission de concert. Que le premier ministre reste en poste dépend donc de sa capacité à garder le soutien de la chambre basse. Cela peut être un vrai travail d’équilibriste, les principaux partis comme le PLD étant toujours divisés (même s’il semblerait exister un consensus général parmi les universitaires, selon lequel la politique japonaise ne se concentrerait plus sur le personnel, pour davantage considérer un parti dans son intégralité). De plus, l’élitisme parmi la branche législative contribue à la persistance de factions, ces dernières rayonnant souvent autour d’anciens premiers ministres. Tout cela forme une complexe toile de connexions familiales, où de nombreux députés sont des enfants ou petits-enfants d’anciens élus. Abe doit dorénavant garder son parti uni derrière lui, surtout dans la chambre basse, tout en convainquant les sceptiques, tant au Japon qu’à l’étranger, de ses « intentions pacifiques » pour la révision de la constitution.